Le 10 octobre, un peu à la surprise générale, la Commission Européenne a annoncé que le régime d’exception CBER (Consortia Block Exemption Regulation) ne serait pas renouvelé à son expiration le 25 avril 2024. Sous cet acronyme abscons se cache un règlement européen datant de 2009, prolongé à deux reprises en 2014 et en 2022, qui assure une dérogation aux règles antitrust bruxelloises aux compagnies maritimes exerçant l'activité de transport conteneurisé en ligne régulière à partir ou à destination de l’UE. En clair, elles avaient la possibilité de collaborer avec d’autres sur le plan opérationnel (en excluant toute entente tarifaire) sous la forme d’alliance ou de consortium dès lors que la part de marché de ces derniers ne dépassait pas 30% sur la ligne maritime concernée. Son dernier audit lancé en 2022 a convaincu la Commission Européenne que sur la période Covid et post-Covid, ce dispositif CBER, à l’origine censé favoriser l’émergence d’alliances de petits armateurs face aux grosses compagnies maritimes, n’était plus efficace ni sur le plan de la concurrence ni sur celui de la variété de l’offre de services. Quelles seront les conséquences de cette abrogation : big bang ou coup d’épée dans l’eau ? J’observe une certaine prudence du côté des experts du secteur. On peut imaginer que les consortiums actuels devront revoir au cas par cas leur compatibilité avec les règles antitrust de l’UE. « Le régime général va s'appliquer avec le règlement sur les accords de spécialisation, qui contient un seuil cette fois à 20%, au lieu de 30% » précise notamment Philippe Corruble, professeur en droit européen des activités maritimes et portuaires à l'EM Normandie. Et pour les chargeurs et autres freight forwarders, qui poussaient pour la fin du CBER ? « On se rend compte après la pandémie que le slow steaming* est partout, que les blank sailing** font florès, et que l’esprit de ligne régulière, au sens d’un engagement fort de la compagnie maritime à faire partir ses navires à l’heure en toute circonstance, est une notion qui a explosé » nous a confié Jérôme de Ricqlès. L’expert maritime chez Upply interprète cette décision comme la volonté de Bruxelles de « remettre de l’air dans le jeu » en encourageant théoriquement les opérateurs, de façon indépendante et non plus dans une discipline de consortium, à proposer des services plus différenciants. Mais sans doute aussi de services plus chers, car si ces consortiums venaient à disparaître, chaque compagnie devra négocier elle-même ses propres frais de manutention au terminal (THC), sans bénéficier de l’effet de groupe, avec le risque d’un effet inflationniste sur les coûts. Cela pourrait aussi conduire à faire réfléchir les armateurs sur le nombre de ports à desservir en Europe. Et dans cette perspective, il n’est pas sûr que ce soit une si bonne nouvelle pour nos ports tricolores… Jean-Luc Rognon
(*) slow steaming : réduction volontaire de la vitesse opérationnelle des navires pour en diminuer la consommation . (**) blank sailing : annulation d’escale ou d’une trajet entier, décidée par une compagnie maritime pour des raisons opérationnelles ou de remplissage insuffisant du navire.